Un mot étrange vient s’imprimer sur un bilan sanguin, et soudain, le quotidien vacille : « hyperprotéinémie ». Derrière cette formule presque ésotérique, des déséquilibres se dessinent – parfois discrets, parfois pesants, toujours à surveiller. Un excès de protéines dans le sang n’a rien d’anodin : il s’invite sans bruit, mais ses conséquences peuvent bouleverser le fragile équilibre de nos mécanismes internes.
Pourquoi cette anomalie inquiète-t-elle autant les médecins, et parfois même plus encore ceux qui la découvrent par hasard ? Parce que les signaux ne crient pas toujours alerte. Certains se glissent à pas feutrés, d’autres vous bousculent. Savoir ce qui se cache derrière ce désordre métabolique, c’est déjà s’armer pour éviter les ennuis. Quelques grammes en trop, et le corps se met à jouer une partition moins harmonieuse.
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Excès de protéines dans le sang : de quoi parle-t-on vraiment ?
Les protéines ne sont pas de simples figurantes dans le grand théâtre du métabolisme humain. Issues d’acides aminés tels que la leucine (un BCAA dont raffolent nos muscles), elles construisent, réparent, coordonnent. Les protéines animales – viande, œufs, laitages – regorgent de ces fameux BCAA, là où les protéines végétales (légumineuses, céréales, graines) jouent une partition différente, plus riche en fibres et micronutriments, moins en leucine.
La digestion sépare ces chaînes, libérant les acides aminés essentiels pour la croissance musculaire, la réparation tissulaire et la gestion de multiples fonctions vitales. Contrairement aux lipides qui s’accumulent en réserve, le corps ne stocke pas les protéines. Tout surplus est traité, transformé ou éliminé. Voilà pourquoi chaque gramme superflu devient rapidement un passager encombrant, susceptible de provoquer des désagréments si la consommation dépasse les besoins réels.
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Notre alimentation occidentale, elle, carbure aux protéines. Sur la balance, l’apport moyen oscille entre 1,2 et 1,5 g/kg/jour, bien au-delà des 0,83 g/kg/jour recommandés par l’ANSES pour la majorité des adultes. L’origine des protéines avalées, leur répartition animale/végétale, compte autant que la quantité totale.
- Protéines animales : haute teneur en BCAA, notamment la leucine, mais le revers de la médaille se dessine vite en cas d’excès.
- Protéines végétales : moins de leucine, mais bouclier protecteur grâce aux fibres et aux micronutriments.
Si cette surconsommation s’est installée, c’est bien parce que les aliments protéinés ont pris le pas sur les glucides complexes et fibres. Notre organisme, sans réserve dédiée à ces macronutriments, doit alors redoubler d’efforts pour éliminer l’excédent – un défi surtout pour les reins. Mais la réalité est plus nuancée, à la lumière des études récentes : tout ne se résume pas à une surcharge brutale, nuance que la science moderne affine peu à peu.
Quels sont les impacts concrets sur la santé ?
Un trop-plein de protéines – en particulier d’origine animale – enclenche la voie mTOR, chef d’orchestre de la croissance cellulaire. Trop sollicité, mTOR stimule les macrophages, qui à leur tour favorisent la formation de plaques d’athérome. À la clé : risque accru de maladies cardiovasculaires, et, selon plusieurs études, de diabète de type 2.
La distinction entre protéines animales et végétales n’est pas un détail : seules les premières, consommées en excès, grèvent le pronostic cardiovasculaire. Substituer ne serait-ce que 3 % des calories provenant de protéines animales par leur équivalent végétal réduit la mortalité prématurée de 34 %. Les protéines des plantes, moins denses en BCAA, ne provoquent pas ces effets délétères.
Mais le tableau ne s’arrête pas là. Un excès de protéines génère davantage de déchets azotés (urée, créatinine) et fait travailler les reins. Les signes d’alerte sont parfois banalisés, mais ils existent :
- Déshydratation par augmentation de la diurèse,
- troubles digestifs – constipation ou diarrhée,
- Mauvaise haleine à cause des corps cétoniques,
- Fatigue due à une surcharge métabolique,
- Prise de poids liée à l’excès calorique,
- Diminution de la satiété si l’alimentation manque cruellement de fibres.
Les régimes hyperprotéinés, souvent adoptés pour perdre quelques kilos rapidement, mettent en place un terrain miné : carence en glucides complexes, fibres en berne, et insidieusement, la balance qui finit par pencher du mauvais côté.
Faut-il s’inquiéter pour ses reins ou d’autres organes ?
Le rein surveille de près l’élimination des déchets azotés issus des protéines. Quand l’apport grimpe, les reins accélèrent la filtration : plus d’urée à traiter, plus de créatinine à évacuer, adaptation du débit de filtration glomérulaire. Tant que la fonction rénale est intacte, le système tient le choc. Chez les personnes en bonne santé, la recherche n’a pas mis en évidence de lien entre excès modéré de protéines et maladie rénale.
Mais le décor change pour ceux qui souffrent ne serait-ce que d’une insuffisance rénale débutante. Là, l’excès accélère la dégradation du rein, notamment via une pression intraglomérulaire accrue. Pour ces patients, limiter l’apport protéique devient incontournable pour freiner la progression de la maladie.
Le rein n’est pas le seul concerné. Une consommation excessive de protéines, sur le long terme, peut favoriser des dépôts amyloïdes dans certains contextes pathologiques – amylose, pré-éclampsie. En dehors de ces cas particuliers, chez l’adulte sain, aucune toxicité démontrée n’est attribuée aux protéines sur les autres organes.
- À surveiller particulièrement : toute personne atteinte de maladie rénale chronique, diabète, hypertension ou à risque familial doit prêter attention à la quantité de protéines consommée.
La détection de protéinurie (protéines dans les urines), surtout si elle s’accompagne d’hypertension ou d’une baisse du débit de filtration glomérulaire, doit alerter. Pour les autres, la capacité d’adaptation du rein reste solide – à condition de ne pas ignorer les repères nutritionnels établis.
Prévenir les excès : conseils pratiques et signaux d’alerte
Le besoin en protéines varie : âge, activité physique, état de santé… L’ANSES et l’AFSSA s’accordent : 0,83 g/kg/j pour l’adulte, soit 50 à 60 g par jour pour une personne de 70 kg. Sportifs et seniors grimpent parfois jusqu’à 1,2 voire 1,5 g/kg/j, mais franchir cette limite n’apporte plus vraiment de bénéfice, et les effets secondaires s’invitent à la fête.
Le réflexe à adopter : miser sur les protéines végétales (légumineuses, céréales complètes, soja) – moins de leucine et BCAA, mais un vrai capital santé pour le système cardiovasculaire. L’équipe du Dr François Mariotti (INRA) l’a prouvé : varier les sources, c’est préserver les reins et couvrir tous les acides aminés indispensables sans saturer l’organisme.
Quelques signaux doivent vous pousser à réévaluer la part des protéines dans l’assiette :
- Fatigue persistante, troubles digestifs (constipation, diarrhée), haleine capricieuse
- Protéinurie, œdèmes, tension artérielle qui grimpe
- Gain de poids inexpliqué ou soif excessive, indice d’une déshydratation rampante
Le déséquilibre nutritionnel s’installe vite si les protéines grignotent la place des glucides complexes et fibres, ouvrant la porte à la constipation et à la prise de poids. Les régimes hyperprotéinés, vantés pour leur effet immédiat sur la balance, devraient toujours être encadrés par un professionnel de santé, surtout en cas de risque rénal ou cardiovasculaire.
La règle d’or : diversifier, écouter les recommandations, ajuster sans excès. Un équilibre bien négocié, c’est la meilleure arme contre les complications qui se jouent parfois à quelques chiffres sur une feuille de résultats.
En définitive, la vigilance ne tient pas à la peur, mais à la connaissance : surveiller, ajuster, varier. Cela vaut bien mieux que de laisser quelques grammes de trop dicter, en silence, la partition de notre santé.